Tous uniques Tous unis Tous à bord Tous plus forts
Tout dabord merci, Monsieur SIMON
de bien vouloir répondre à mes questions. Vous le savez ces questions,
je les pose à double titre dune part au nom du journal «
La Croix du Midi » et dautre part en tant que personne qui vit un
handicap au quotidien.
Question : Donc lA.E.P.H. cest :
Jean-Luc Simon : LAEPH sera ce quen feront les personnes concernées, handicapées, parents, enfants, professionnel comme tous les citoyens, dans le cadre des objectifs fixés par le Conseil de lEurope, la Commission européenne et par le Comité Français de Coordination. Sur la base de larticle 13 du Traité Européen dAmsterdam, les préoccupations de la Commission Européenne sont de combattre les discriminations liées à une déficience physique, sensorielle ou mentale, en souhaitant que chaque état membre engage un processus législatif visant à prévenir et supprimer les causes de ces discriminations. Mais lobjectif qui doit tous nous mobiliser en priorité et pour lequel chacun peut apporter sa contribution, consiste à participer au « changement du regard porté sur les personnes handicapées ». Cest là le défi le plus important qui est posé, car cest de ce changement de regard que dépendent les changements concrets qui sont nécessaires à lamélioration des conditions de vie, non seulement des personnes handicapées, mais de lensemble de la population.
Cest là le message central de laction du Comité Français de Coordination de lannée européenne des personnes handicapées : « Plus dautonomie pour les personnes handicapées, cest plus de liberté pour tous ». Il sagit de montrer et de faire comprendre que la réponse aux besoins des personnes handicapées ne doit pas se raisonner et se comprendre comme un coût ou une charge, mais en termes dinvestissement pour le mieux être de lensemble de la population.
Quelques exemples : La télécommande de votre téléviseur, cest au départ pour les personnes tétraplégiques quelle a été inventée et mise au point. Qui penserait à aujourdhui sen séparer ? Les bus à plancher bas qui sont demandés depuis plus de 20 ans par les quelques 3 à 4% de la population reconnus « à mobilité réduite », facilitent aujourdhui laccès de plus de 40% des utilisateurs des transports en commun, à tel point quil est parfois difficile de trouver une place à côté des poussettes et des caddys que les usagers peuvent maintenant monter avec eux dans le bus !
Les bénéfices tirés de la réponse aux besoins des personnes handicapés sont nombreux et pratiquement systématiques, et il sagit, en 2003, de mettre ces bénéfices en évidence pour que chacun comprenne que lintégration de tous est un bénéfice pour tous.
Concernant le « tas de fric » dont vous parlez, il nest malheureusement pas à la hauteur des ambitions tracées : 800 000 Euros ont été attribués à la France par la Commission Européenne pour mener lensemble des actions de lannée 2003.
En termes de résultats attendus, ceux-ci dépassent évidemment nos capacités budgétaires, et cest là un des aspects du défi quil nous est demandé de relever. Vouloir « changer le regard porté sur les personnes handicapées », cest vouloir influencer la culture des peuples européens, et il serait présomptueux de croire quil est possible de changer un fait culturel en un an. Cest sur plusieurs générations que cette transformation peut sopèrer, et nous ne pouvons avoir dautre ambition dans ce domaine que de « semer les graines du changement » (1) en oubliant pas que nous devons aussi préparer et entretenir le terrain pour que ces graines puissent donner leurs plus beaux fruits dans quelques années. Cest dans cet esprit que jutilise souvent lexpression « délectrochoc culturel » pour décrire de ce que jattends de lannée européenne des personnes handicapées. Nous devons montrer la capacité là où nest habituellement perçue que lincapacité, mettre en valeur la créativité des personnes handicapées pour faire comprendre à la société que leur intégration est facteur de développement et denrichissement, parce que sans les symphonies de Beethoven qui était sourd, sans Roosevelt qui a brillamment présidé la destinée des Etats Unis de son fauteuil roulant, sans Van Gohg qui enchante nos regards depuis des centaines dannées avec ses créations de schizophrène, et sans tous ceux qui tirent un élan créatif de leur lutte pour une vie autonome, le monde serait plus pauvre parce quamputé dune part essentielle de sa richesse.
Question : Lorganisation au niveau européen de divers projets dans différents domaines de la vie sociale du même type que lA.E.P.H. peut donner limage des prémices dune Europe sociale ou chacun des pays membres, de ses régions de ses villes et villages travaillent ensemble à un même objectif pour améliorer la situation dun groupe de personnes.
Ne pensez-vous pas que la mise en place dans chacun des pays dun comité national de lA.E.P.H. tue cet esprit de communauté, déchanges dexpériences et empêche une évolution par le haut ?
Ne croyez-vous pas quil est dangereux
que sur le terrain on ne perçoivent-pas que chacun participe à
un dessin, un projet commun au niveau de lEurope ?
De la même façon, on parle de laménagement de la loi
du 30 juin 1975 (Loi dOrientation en faveur des personnes handicapées),
pourquoi ne pas profiter de cette année européenne pour imaginer
une loi plus large dans le cadre européen que chaque pays pourrait ratifier
?
Naurait-on pas ainsi limpression que lEurope est une Europe
des Citoyens ?
Jean-Luc Simon : Cest exactement ce qui est en jeu, non pas la création dune loi européenne, car il nest pas du champ de compétence de lEurope de légiférer dans le domaine social, mais la mise en conformité des législations de chaque pays membre de lUnion Européenne avec larticle 13 du traité dAmsterdam qui prohibe toute discrimination du fait du handicap. Voilà ce qui unit lEurope.
Les comités AEPH des pays membres se rencontrent régulièrement à Bruxelles pour coordonner leurs actions, et chacun deux à la même mission : encourager et accompagner ladoption dune législation nationale qui prévient et élimine les facteurs de discrimination à légard des personnes handicapées. En France, la réforme de la Loi de 75 a été décidée avant et en dehors de lannée européenne, mais son calendrier tient évidemment compte de cet événement et nous ne pouvons que nous en réjouir, car avec la priorité nationale définie en juillet 2002 par le Président de la République pour mieux répondre à la situation des personnes handicapées, cest maintenant lensemble de lEtat qui se trouve mobilisé sur cette réforme. Faire lEurope, cest pour les Etats Membres mettre leurs législations nationales « au diapason » avec les orientations définies sur le plan communautaire, et lannée européenne est une occasion unique pour revoir la loi de 75 dans cet objectif. Comment sera traité la non-discrimination des personnes handicapées ? Je ne peux le dire aujourdhui et ne peux savoir comment sera abordé cette question par le législateur. Le sera-t elle à lintérieur de la Loi de 75 ? À lintérieur dune Loi spécifique ? À loccasion dune réforme constitutionnelle ? Considérerons-nous la législation existante suffisante ? Plusieurs scénarios se présentent et présagent de débats passionnants, auxquels les personnes handicapées et lensemble des personnes concernées doit évidemment prendre part. Cest aussi ce que le Comité Français de Coordination pour lAEPH encourage.
En complément de la participation à
cette dynamique nationale dans le cadre européen, les citoyens handicapés
et leurs familles seront aussi appelés, comme ce fut le cas en décembre
1993, à participer à un « Parlement Européen des
personnes handicapées » à Bruxelles. En cours dorganisation,
je peux juste vous dire à propos de cette initiative du Groupe Inter-parlementaire
Européen, quune enveloppe de la commission européenne a
été attribuée dans ce but et quelle se tiendra fin
2003.
Question : Après la philosophie, parlons concrètement du déroulement
de cette année européenne. Votre comité a lancé
un appel à projet, pouvez-vous nous dire brièvement sur quels
objectifs principaux ?
Jean-Luc Simon : Le Comité Français
de Coordination de lAEPH vient de finaliser la sélection des projets
quil propose pour un financement au Secrétariat dEtat, et
je mapprête à signer les courriers qui annoncent ce soutien
à la centaine de porteurs de projets sélectionnés. Le nombre
de propositions daction a largement dépassé nos premières
estimations les plus optimistes, et cest plus de 600 projets qui sont
arrivés dans les délais (Avant le 31octobre 2002), mais cest
plus dun millier qui aurait pu être réuni si nous avions
laissé plus de temps. Pour mieux valoriser cet engouement et ce formidable
potentiel, le Comité Français de Coordination pour l'AEPH a donc
souhaité que soit introduite une procédure de labellisation afin
de pouvoir soutenir la communication et la promotion de projets sur lequel il
ne peut intervenir financièrement. Il a donc été décidé
que l'attribution du Label « Acteur de lAnnée Européenne
des Personnes Handicapées », qui reprendra les critères
de sélection des projets, soit ouvert tout au long de l'année
2003. Cette procédure de labellisation sera lancée fin janvier
2003.
Les premiers critères qui ont guidé la sélection des projets
sont ceux de la participation et de la visibilité des personnes handicapées,
pour ensuite sintéresser à sa faisabilité en termes
de cohérence dobjectifs et de moyens. Un critère qui navait
pas été envisagé aussi déterminant a été
celui de la localisation du projet, et il a été aussi tenu compte
des populations (Types de déficiences, tranches dâges) et
des secteurs dactivité concernés (Loisir, culture, emploi,
scolarité
). Je dois dire que ce travail de sélection a
été difficile et très frustrant étant donné
le nombre de bon projets que nous avons été amené à
« écarter » dun financement pour répondre à
ces multiples contraintes.
Question : Il semble que les projets doivent être déposés par des personnes morales donc essentiellement des associations loi 1901, ne trouvez-vous pas cette condition limitative ? Une telle clause ne risque-t-elle pas de vous priver dun certain nombre de projets et didées de citoyens individuels et ordinaires qui ne sont pas « encartés » et qui ne trouvent pas de place dans le système que votre comité à organisé ? Lesprit de lA.E.P.H. nest-il pas la volonté de développer lautonomie de LA personne ?
Jean-Luc Simon : Dans lidéal, vous avez raison, mais le soutien de projets individuel ne pouvait être envisagé pour plusieurs raisons. Tout dabord, les règles européennes attachées à lenveloppe attribuée à chaque pays de lUnion interdisent lattribution de fonds à des personnes physiques. Ensuite, la machine à monter pour lancer un appel à projet en direction des personnes physiques et sélectionner leurs propositions naurait pas été envisageable dans les délais et, enfin, les fonds à répartir sont beaucoup trop limités.
« Lesprit de lAEPH » est avant tout européen, cest-à-dire collectif, et sil sagit effectivement de mettre en avant les capacités individuelles des personnes handicapées et damener chaque citoyen européen à changer le regard quil porte sur les personnes avec des capacités particulières, cest avec lobjectif de conduire les groupes et les collectivités vers de meilleures pratiques. Jattache une grande importance aux initiatives individuelles, et celles-ci seront soutenues autant que faire ce peut : En favorisant lexposition des créations des personnes handicapées au sein des manifestations en cours dorganisation, en encourageant les médias à sintéresser à leurs contributions, en organisant des concours pour publication et diffusion Toute initiative pour « changer le regard porté sur les personnes handicapées » est la bienvenue, dans son quartier, sa commune, département, région, sur les marchés, dans les écoles, les bureaux, les centres commerciaux partout où il possible de faire vivre, lire, voir, entendre, apprécier ... la créativité des personnes handicapées. Les actions qui peuvent senvisager dans ce but n'ont d'autres limites que limagination. Chacun peut chercher des partenaires, aller convaincre son Maire, son Député, son Conseiller Général ou Régional, les Présidents d'associations, de clubs sportifs de jeunes, d'adultes ou de personnes âgées, pour qu'ils soutiennent la réalisation d'une action, à quelque échelle que ce soit.
Question : Un certain nombre de colloques régionaux vont être organisés à travers la France afin de faire un état des lieux , le 17 avril prochain cest TOULOUSE qui sera la ville hôte, pouvez-vous nous donner une idée du contenu de ce colloque ?
Jean-Luc Simon : Les forums régionaux sont en cours dorganisation. Cest le Cabinet de Madame Boisseau et les services communications du Ministère de la santé qui organisent ces manifestations en étroite collaboration avec les DRASS concernées. Ces Forums réuniront 3 à 400 personnes dans chaque ville où ils se tiendront, ils sont organisés, non pas dans lidée de « grandes messes », mais dans un esprit de travail et de rencontre entre les responsables politiques et administratifs, les professionnels et les personnes concernées, handicapées et parents denfants handicapés. Ce seront des forums où tous ceux qui auraient souhaité être présent ne pourront lêtre, mais des mesures seront mises en uvre pour quà chacun puisse poser des questions par écrit.
À Toulouse, le thème du forum sera laccessibilité, et loccasion aussi daccueillir la « Marche de lannée européenne » à son entrée en France. Cette animation organisée par la Commission européenne est un camion aménagé qui partira dAthènes le 26 janvier pour une tournée dans toute lEurope tout au long de lannée 2003. Véritable scène itinérante, il sera à chacune de ses étapes en France, du 17 avril au 21 mai, une occasion pour les associations et les collectivités de présenter leurs projets en organisant des présentations publiques, concerts, spectacles ...
Il est certainement une question que vous auriez souhaité que je vous pose, alors je vous laisse la conclusion.
Jean-Luc Simon : Il est en effet un point pour moi essentiel que je souhaite aborder : La communication et le rôle de chacune des personnes qui interviendra dans les centaines de manifestations qui émailleront cette année.
Le changement du regard porté sur les personnes handicapées est lenjeu majeur de lannée 2003, et les mots que nous utilisons tiennent un rôle essentiel pour engager, accompagner et concrétiser ce changement. Le comité français de coordination a déjà exprimé ce soucis en ajoutant un point sémantique à la charte dutilisation du logo de lAEPH : « Les organisateurs de lévénement qui utilisent le logo de lAEPH sengagent à proscrire de toute leur communication le terme « handicapés » seul, pour nutiliser quune terminologie précise et respectueuse des personnes, telle que « personnes handicapées », « personnes en situation de handicap », « citoyens handicapés », « personnes avec des besoins spécifiques » etc. »
Il ne sagit pas de faire du « politiquement correct », mais simplement de concrétiser un changement qui peut être mis en uvre par chaque citoyen sans autre dépense que celle quexige la surveillance de son langage. « Leffort » qui est demandé pour parfois se corriger et dire ou écrire « personnes handicapées » en place de « handicapé », nest que le reflet de « leffort » quil faut souvent faire pour vivre avec les personnes handicapées, car si vivre le handicap est difficile, vivre avec les personnes handicapée lest aussi. Je ne souhaite pas que lon idéalise lenjeu de la vie avec les personnes handicapées, et il est préférable que chacun mesure lampleur de la tâche car vivre avec les personnes handicapées, cest partager les discriminations dont elle sont victimes, devant les marches dun restaurant, au cours de leur scolarité, face à lemploi, dans lavion, le train et dans la rue Ce que nous demandons à chaque citoyen, cest davoir le courage de faire face à la difficulté, comme les personnes handicapées le font chaque jour, afin que plus conscient des barrières à surmonter il uvre avec elles pour les éliminer. Les personnes handicapées qui vivent lautonomie sentendent souvent dire « Cest formidable ce que vous faites », et en partageant leur vie et leurs difficultés, chacun peut donc aussi être « formidable » et fier de lêtre.
Leffort sémantique qui est demandé ne fait que mettre en uvre cette exigence dans le langage, et cest plus quun début, cest la mise en uvre concrète dun changement de nos perceptions.
Une distorsion du langage que je rencontre
trop souvent est celle qui vise à parler de « lannée
européenne du handicap ». Cest une hérésie
! Comment est-il possible de croire, et de faire croire, que cest le handicap
que nous célébrons ! Il ne sagit pas de mettre en valeur
le handicap, mais de le combattre en éliminant lune de ses causes
principales : La discrimination. Ce sont les PERSONNES que nous célébrons
en 2003, les personnes dites handicapées parce que discriminées
quand lexpression de leurs capacités est étouffée
par un environnement et des comportements inadaptés, voire hostiles.
Dans le même état desprit et avec la même rigueur,
je suis très réticent à lutilisation du terme de
« différence » qui est communiqué dans de nombreuses
manifestations concernant les personnes handicapées, car si je massocie
volontiers à « léloge de la différence »
comme la décrit le biologiste Albert Jacquard dans le livre du
même nom, ce nest pas les différences qui me séparent
des autres que je souhaite voir mises en avant en 2003, mais ma ressemblance,
mon humanité, ce qui unit, ce que jai en commun que je souhaite
voir reconnu.
Lannée 2003 ne doit pas être une fête de la différence ou de toutes les différences, mais une célébration de la ressemblance. Nous avons chacun notre valeur, nous devons tous avancer ensemble et tous être acteur de cette grande aventure.
Tous uniques, tous unis, et tous à bord.
1 : Henry Cassirer, Membre du Comité Français de lAEPH, Ancien directeur de la communication éducative à lUNESCO & Coordinateur en France pour lannée internationale des personnes handicapées de 1981.
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