La contribution des personnes handicapées à l'apprentissage l'autonomie

Intervention à la journée nationale de l'association

"Prader-Willi France"

Besaçon, 30 septembre 2000

Couverture de la revue "Prader Willie France". Photo : 2 jeunes femmes, dolnt l'une est atteinte du syndrome de Prader Willie.  Elles  rient en se regardant l'ors d'une ballade.

J'interviens ici pour vous rapporter les résultats des recherches sur l'apprentissage de l'autonomie par les personnes handicapées que j'effectue à l'université Lyon 2, mais aussi l'action du Groupement Français des Personnes Handicapées " que je préside actuellement ; il y aura donc une part militante dans mon discours.

Vous avez pu remarquer que je suis porteur d'un fauteuil roulant, mais assez paradoxalement, c'est plutôt mon passé professionnel qui me rapproche de plusieurs personnes ici. Je suis en effet un professionnel du handicap qui, le jour où il est devenu handicapé, a été licencié. Cette expérience m'a amené à m'interroger sur la problématique de l'intégration, car en découvrant la vie avec une déficience sous l'angle du vécu, j'ai commencé à mettre en doute ce que l'on m'avait appris en tant que professionnel. J'ai donc mené une série de recherches universitaires en essayant de mettre à profit ce double regard sur les situations de handicap : celui qui m'avait été apporté par ma formation professionnelle, et celui que j'ai découvert avec l'expérience de la vie avec une déficience.

Aujourd'hui, je découvre une association et un syndrome que je ne connaissais pas, le syndrome de Prader-Willi, et ça a été passionnant pour moi d'écouter toutes vos interventions. Je me rends compte aujourd'hui qu'il y a une quinzaine d'années, j'ai rencontré plusieurs personnes porteuses de ce syndrome, en hôpital psychiatrique ou dans des structures souvent très mal adaptées à leurs besoins, ce qui montre toute la valeur de la première mission de votre association qui est de faire connaître ce syndrome.

Expérience et compétence sont intimement liées dans la pratique que je vais essayer de vous transmettre en quelques mots. Les conclusions de mes premières recherches mettent à jour la contribution que peuvent apporter les personnes handicapées chargées d'expériences dans le processus d'apprentissage de l'autonomie. Elles font écho à une pratique déjà mise en place aux USA dans les années 70, et viennent confirmer ce que j'avais découvert pendant mon séjour en hôpital de rééducation. Mon passé de soignant m'a beaucoup aidé dans ma " découverte " du handicap ; je savais ce qu'étaient une vessie ou une moelle épinière, et je connaissais les conséquences d'une altération du fonctionnement de ces organes ; ce qui, en s'en doute, n'était pas si évident pour un informaticien, un maçon ou un directeur commercial. Cette connaissance qui me venait de mon passé professionnel m'a fait gagner beaucoup de temps, j'en ai pris conscience très rapidement.

En second lieu, lorsque le kinésithérapeute de l'hôpital de rééducation a essayé de m'apprendre à manipuler mon fauteuil roulant sur deux roues pour passer une marche sans aide (un geste d'autonomie nécessaire dans une société comme la nôtre), il s'est assis dans un fauteuil roulant et m'a montré comment faire : " Regarde, et fais comme moi ! " Ma première réaction a été de lui dire : " Toi, si tu tombes, ce n'est pas grave ; mais pour moi, cela va avoir des conséquences plus importantes, je ne peux pas le faire. " Le lendemain, je suis allé me promener dans le parc de l'hôpital avec un ami, paraplégique depuis 3 ou 4 ans et expérimenté. Pour passer une petite bordure qui m'empêchait d'aller voir les canards qui s'ébrouaient dans un petit étang, il m'a dit : " Regarde, c'est facile É Hop ! " Et je l'ai imité, lui, paraplégique comme moi. Avec lui comme instructeur, tout était différent. Je pouvais me reconnaître en lui car il avait un corps identique au mien. Je l'ai suivi en toute confiance, sans problème. C'est un exemple de la valeur de la contribution des personnes handicapées au processus de réadaptation.

Nous avons repris et mis en Ïuvre cette idée, cette évidence pour nous, pour initier une action au sein du milieu associatif, et 3 des occupants de la chambre d'hôpital où nous étions réunis, il y a 17 ans, travaillent maintenant ensemble pour créer des équipes de soutien par les pairs. C'est une aventure passionnante que nous partageons aujourd'hui avec le médecin de réadaptation qui nous suivait à l'époque, et qui est maintenant lui-même handicapé par une maladie dite " orpheline ". Vous voyez, la vie propose un tas de revirements auxquels il faut s'adapter.

Après avoir commencé à le théoriser au travers de plusieurs recherches universitaires, nous mettons maintenant en pratique le soutien par les pairs au sein de plusieurs associations ; dynamique que nous désignons par le terme de " pairémulation " (émulation par les pairs). Nous formons des personnes handicapées pour qu'elles puissent en soutenir d'autres dans leur démarche d'apprentissage de l'autonomie, et nous posons ainsi les bases d'un nouveau métier, celui de pairémulateur. Nous avons créé un premier poste au sein des hospices civils de Lyon en embauchant une personne handicapée qui va à la rencontre des jeunes paraplégiques et tétraplégiques pour leur parler et les guider sur le chemin de l'autonomie, dans le quotidien et à partir de son expérience.

Les premiers pas dans la ville sont chargés de gêne, on n'ose pas se présenter en public parce qu'on a une image complètement dévalorisée de soi-même. On a honte de ce que l'on est, car " les autres " sont souvent maladroits. La première fois que j'ai écouté un chanteur dans la rue, par exemple, une personne est venue me proposer 5 francs. Comment retrouver confiance en soi quand votre présence provoque de telles réactions ?

Au début de ma vie en fauteuil roulant, avant d'aller dans un restaurant, je téléphonais pour demander : " Excusez-moi, je suis handicapé. Est-ce que je peux accéder à votre établissement ? " C'était la chose à ne pas faire, je l'ai découvert ensuite. Il existe deux types de réponses à ce genre d'appel : " Pas de problème, vous arrivez quand vous voulez ", et vous trouvez un perron de trois marches en arrivant, ou : " Ce n'est pas accessible ! " alors qu'il n'existe pas de problèmes insurmontables, mais qu'on préfère ne pas vous voir. Maintenant, quand je vais dans des lieux publics, spécialement les administrations, je ne téléphone plus, je m'y rends. L'accessibilité, ce n'est pas mon problème, c'est celui des personnes qui doivent m'accueillir dans l'espace public dont ils sont les acteurs, patron de restaurant ou autres. Quand, à l'université, étudiants et professeurs me déposent, épuisés et soufflants, dans la salle de cours du 4ème étage sans ascenseur, j'ai toujours un petit sourire provocateur à l'arrivée en disant : " Mais l'accessibilité, Messieurs, c'est un problème pour qui ? ". Ce petit exemple pour montrer qu'on peut retourner, ou du moins équilibrer, toutes les situations.

Dans la pairémulation, ce que l'on transmet de plus fort à celui ou celle qui découvre les contraintes de la vie avec une déficience, c'est de lui dire : " Il n'y a aucune honte à être dans ta situation. Tu es ce que tu es. Le monde doit t'accepter comme tu es, c'est à dire que s'il n'y a pas d'accessibilité, tu n'en es pas responsable, c'est celui qui construit les marches qui est responsable ". L'affirmation qui est au centre de cette action de soutien mutuel est celle de ne plus avoir honte de ce que l'on est.

Quelqu'un parlait tout à l'heure de la mixité des handicaps. Je suis un fervent défenseur de cette mixité, pas de la mixité des handicaps mais de la mixité tout court. Il ne s'agit pas de savoir si une personne handicapée doit vivre dans une institution avec des personnes handicapées similaires ou avec des personnes handicapées porteuses d'une autre déficience, l'objectif c'est que la personne handicapée puisse choisir comment elle veut vivre et surtout là où elle veut vivre. Si elle veut vivre à côté de ses parents, dans un village, elle doit pouvoir le faire. Proximité et microstructure sont les deux mots clé des propositions du rapport que Michel Fardeau vient de remettre au Gouvernement qui, je l'espère, va pouvoir se mettre en Ïuvre bientôt.

Que dire encore sur la pairémulation ? En premier lieu, qu'il s'agit pour nous d'effectuer un travail de réassurance. En échangeant avec les jeunes handicapés qui vivent dans des institutions spécialisées, nous avons pu constater que leurs premières questions reflètent toujours des mêmes inquiétudes : " Comment va-t-on se débrouiller avec le regard de l'autre ? " Le regard de l'autre est une barrière qui freine l'intégration et la vie autonome. Il est évident que ces jeunes handicapés doivent se sentir soutenus afin qu'ils puissent retrouver confiance en eux et qu'ils puissent se dire : " J'ai le droit de le faire, donc je vais le faire ".

Un leitmotiv de l'éducation est de dire aux enfants " On ne demande pas, on fait par soi-même ", et ce dans un évident souci d'autonomisation de l'enfant. Mais quand, paraplégique, je suis seul dans la rue et qu'il y a des marches, il faut bien que je demande de l'aide. Vivre d'une façon autonome, pour une personne handicapée, c'est donc apprendre à demander de l'aide, en étant assez précis et directif pour que les gens ne fassent pas n'importe quoi. Et cela est valable dans beaucoup d'autres cas. Pour ceux qui doivent employer une tierce personne, comment la sélectionner ? Comment faire son bulletin de salaire ? Comment s'en séparer ? Tout cela, il faut l'apprendre.

Notre objectif est former les personnes handicapées qui le souhaitent à un métier de travailleur social. Nous voulons faire de la pairémulation une profession, former des personnes handicapées à l'écoute de l'autre, et régir la fonction de pairémulateur avec des règles et une charte. Une des règles de cette pratique consiste à se réunir par moments entre personnes handicapées, parce que la démarche d'intégration est difficile, parce que c'est toujours être différent sous le regard des autres, et que se retrouver entre personnes handicapées, entre semblables, c'est retrouver un espace " d'ordinarité " où l'on retrouve plus facilement confiance en soi. Nous voulons faire de la pairémulation une nouvelle discipline, afin que cette pratique puisse venir enrichir cette interdisciplinarité dont nous parlons tant.

L'effet de la pairémulation est double. Il y a l'effet sur les personnes rencontrées qui voient qu'elles ont un avenir autre qu'institutionnel. Comme dans mon expérience, quand en voyant des skieurs handicapés à la télévision je me suis dit : " Mais il y a une vie avec le handicap ! "

Celui qui intervient, le pairémulateur, retire aussi un bénéfice de la situation. Cette fois, c'est lui qui est intervenant, c'est lui le formateur. Contraint tous les jours à recourir à l'aide d'autrui pour suppléer à ses incapacités, le pairémulateur trouve dans sa fonction les moyens de contribuer efficacement au développement de ses pairs. Face aux professionnels qu'il peut former, les relations de pouvoir sont inversées, d'aidé, il devient aidant, il prend le pouvoir alors que généralement, c'est toujours lui qui est sous le pouvoir de l'aidant. En échangeant ainsi les places, chacun, formé et formateur, s'identifie mieux à l'autre et la communication s'établit sur des bases qui rendent l'échange intelligible. Il ne faut pas avoir peur du mot " pouvoir ", c'est seulement une relation temporaire. Mon pouvoir, ou plutôt mon devoir, c'est de générer la parole et permettre aux personnes à qui j'ai affaire de s'exprimer. Donc c'est ce que je vais faire maintenant et me taire.

 

Débat avec la salle :

M. Rossel : (éducateur) Merci pour votre intervention. C'était vraiment une bouffée d'air !

M. Simon : Une des notions les plus intéressantes qui est en train de se discuter maintenant est l'aide aux aidants, pour que ceux qui aident puissent eux aussi avoir un coup de main. C'est vraiment la situation des parents. Comment les aider pour qu'ils puissent assumer leur rôle de parents, les relayer de temps en temps s'ils veulent prendre deux ou trois jours de repos grâce à des structures semblables à ce qu'on trouve en Europe du Nord, où l'on accepte les jeunes en moins de 24 heures, et où l'on peut les prendre 2 ou 3 jours, voire une semaine, toutes déficiences étant prises en compte.

M. Grau : Vous avez de la chance, vous avez découvert que la compétence venait de l'expérience.

M. Simon : Paradoxalement, cette compétence née de l'expérience est très mal prise en compte, alors que dans d'autres endroits, comme les centres de désintoxication, cette compétence est largement reconnue. On se reconnaît plus facilement en celui qui a traversé les mêmes épreuves, ce qui facilite l'instauration d'une relation de confiance.

M. Grau : Il est difficile de se mettre à la place de l'autre ; avec un peu de bonne volonté, on devrait y parvenir.

M. Simon : C'est ce qu'on appelle l'empathie. C'est une façon d'être. L'autonomie avec un handicap, c'est un art. Il faut peindre la vie avec envie, avec désir pour dépasser les barrières imposées par le handicap. La plus belle chose que j'ai tirée de mon expérience de la vie avec une déficience, c'est la confiance en soi. Nous sommes comme nous sommes, et nous avons des droits en tant que citoyens. Et c'est pour défendre ces droits que j'ai cessé mon travail social pour " entrer en politique " avec les associations. Je n'y étais pas préparé, mais c'est mon parcours qui m'y a amené, comme je n'étais pas non plus préparé à être en fauteuil roulant.

C.Chirossel : Moi, j'aimerais bien votre numéro de téléphone, parce que quand je n'aurai pas trop le moral, je vous appellerai !

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